Observer, côtoyer, pratiquer auprès de maîtres est enseignement. Bien entendu, ils expriment leurs sensibilités par leurs pratiques mais aussi en pointant un texte particulier qui leur est cher, dont ils se sentent proche ou dans lequel ils voient et entendent une résonance, une familiarité, une ouverture. Je sais que Taïun Sensei ne se sépare plus de certains livres comme les entretiens de Huang Po, que Nyojo Sensei est proche du Soutra du Lotus comme Dōgen d’ailleurs, que Taigu Roshi est proche des poètes…

Cela a été pour moi une énigme et je me suis ainsi dit qu’il serait intéressant d’en découvrir quelque chose, peut être…. Au départ, j’avais le Sandokai en préférence, sans doute tant par facilité de lecture que le nombre important d’exposés à son sujet. 

Mais voilà que depuis deux ans, sur invitation de Roshi, et par la pratique de Nyojo Sensei, je peux cheminer avec le Denkōroku. Les premiers temps à son approche me semblent aujourd’hui similaires aux premiers temps d’accommodation à l’assise ou à la pratique de la couture : beaucoup d’impatience, de colère, de frustration, de volonté d’abandon, d’excuse ne pas faire et en l’occurrence de vouloir le lire ! Oui, je ne cache pas que l’abord du texte peut-être difficile, car il semble impénétrable par le choix de traduction de coller au plus proche de la parole de maître Keizan. Mais voila : c’est ça qui est exactement ce qui en fait sa force et son importance ! Il est tel le clair miroir de la parole de Bouddhas-Patriarches, éclairant mon échec ! Il m’a été difficile de comprendre que quelque soit le texte, si l’esprit souhaite le lire en comprenant intellectuellement un sens, cela sera un échec. 

Avec le Denkōroku, aucune parade pour y échapper. Il est tellement direct, tellement habile et riche d’enseignements, que toute personne souhaitant aborder le Dharma, ne pourra entendre et se lire à travers le Denkōroku, que lorsqu’il aura abandonné une volonté de lire avec les yeux et comprendre avec la tête.  

Le Denkōroku est par essence ce qui pointe au-delà. Alors oui, peut-être alors a-t-on du mal à comprendre « au-delà » du texte et de l’écrit, comme l’on pourrait avoir du mal à comprendre « au-delà des pensées », car parfois on entend au-delà comme après, au loin, en dehors. Mais cela n’a rien à voir avec « au-delà » pointé par les Bouddhas- Patriarches. Entendre ainsi, c’est comme s’arrêter à la posture, lire ainsi, c’est comme s’arrêter au souffle et ce qui est identifié comme posture ou souffle. Mais vaste, sans limite est la face cachée du Bouddha. Alors, ainsi « au-delà », c’est tourner le regard en soi pour se dissoudre dans la face cachée de la lune, cheminant lumineusement sans jamais projeter sa propre lumière. C’est devenir intime avec soi : cesser d’être planté à un croisement de route et de regarder au loin, car il n’y a pas à regarder au loin. D’ailleurs en zazen, si les yeux se lèvent, juste le mur, car le regard se porte vers soi. 

Cela est l’assise derrière l’assise. Sans langue et yeux fermés, se dévoile la montagne derrière la montagne.

Alors ainsi, se laisser lire par les histoires et être accompagnée par l’ensemble des Patriarches pour apprendre à laisser se dérouler cela. 

Pour autant, aucun mystère dans les formulations, tout y est ! Cet enseignement, ou mieux ce fait révolutionnaire, n’est pas essentiellement secret mais est toujours et partout pleinement révélé. C’est cette caractéristique qui est révolutionnaire et qui se révèle dans chacun des cas selon un écho singulier. 

Tout y est ! Tel le Bouddha ne cessant de l’exprimer, qui ne prononça plus un mot, prit une fleur et laissant tourner. Tous attendant ainsi le sermon peut-être encore, seul Makashya sourit : réalisant l’esprit un au-delà des mots, reconnaissant ainsi la lumière inépuisable. Alors, cet ouvrage est l’invitation pour celui qui s’oublit, qui en rit et qui ainsi lit avec le cœur. Ce dernier découvre la délicatesse, l’humour mais aussi le labeur des Patriarches, qui n’est qu’un écho du nôtre. A celui qui cherche un trésor caché ou dissimulé dans les lettres des mots des écrits, je n’ai plus de doute : ce n’est que grâce à une compagnie heureuse et surprenante avec les bouddhas vivants du passé et du présent, que cette reconnaissance surgira alors, certainement accompagnée de larmes et de rires. 

Le Denkōroku, livre du cœur, qui dévoile la présence indifférenciable. 

Alors ainsi, tel un clin d’œil à celui qui saura le percevoir : « A présent, avancez une parole ! Qu’en est-il de (ce) principe de la Voie ? » 

A la noble clarté,

une ombre vaste. 

Bien sûr !

Derrière l’assise, 

une autre assise.