Faire attention, se concentrer, être conscient de ce que l’on fait, autant de phrases familières aux pratiquants de la méditation. Qu’entend on vraiment par là? Comment exercer l’attention et sur quoi?

Nous vivons une époque formidable qui semble avide de raccourcis et de temps gagné. Les objets et gadgets qui inondent le marché offrent souvent de multiples fonctions, telle montre connectée vous proposera la consultation de vos mails, la téléphonie portable, la mesure de vos fonctions corporelles et la mesure de vos données physiques, augmentées des conseils et autres suggestions d’exercice ou de régime. Tout en un. Il en va de même de chacun d’entre nous, appelé dans sa vie professionnelle à multiplier ses compétences et ce paradigme singulier a son modèle : la secrétaire multilingue capable d’accomplir en même temps des tâches multiples : répondre au téléphone tout en écrivant un rapport avec un œil sur le calendrier et une conversation avec la stagiaire… De quoi me rendre fou alors que je peine déjà à converser avec mon épouse quand je suis occupé à cuire un œuf sur le plat. Est-ce à dire seulement que je suis l’héritier de mes ancêtres les chasseurs alors que ma femme est faite de la même trempe que celles qui au village gardaient les enfants tout en cuisinant et palabrant…C’est peut-être beaucoup plus simple. Conformément aux enseignements que j’ai reçus et m’efforce de mettre en pratique, je porte mon attention sur une seule chose en même temps.

L’attention…Une célèbre histoire de notre tradition zen, un maître de grande renommée était assis en contemplation sur l’estrade et se livrait à l’exercice de la calligraphie  quand un disciple laïc se présente et lui demanda d’écrire  ce qu’il considérait comme l’enseignement le plus essentiel : « attention » écrivit le maître. « est-ce là tout? » s’étonna le visiteur. Patiemment, le maître reprit le pinceau et traça à nouveau : « attention, attention ». Le laïc visiblement décontenancé : « non, je veux dire, n’y-at-il pas d’enseignement secret et plus profond? » Le prêtre sourit et reprenant le pinceau écrit : « attention, attention, attention ».

Quelle peut bien être  la nature de cette attention? En quoi consiste-t-elle?

D’abord cette attention n’est pas tension, elle ne consiste pas à se concentrer de toutes ses forces sur un objet particulier comme en dirigeant son regard ou sa conscience sur un seul point. Elle ne consiste pas à ne pas lâcher des yeux ou de la pensée un objet ou une activité avec une énergie dirigée et focalisée. Cette attention est relâchée, détendue et panoramique, plutôt que d’adopter un regard fixe et pointé, on embrasse alors largement ce que l’on contemple sans rien fixer. Nous sommes très loin de l’idée que l’on se fait de la concentration. On pourrait plutôt parler d’observation relâchée. Et vous la connaissez fort bien si vous avez eu la chance de grandir à la campagne ou de vous amuser en tant qu’enfant avec le plafond de votre chambre, ciel d’été ou lambris, vous étiez jadis capables de les regarder allongé sur votre lit ou dans le gazon du jardin en vous relâchant complètement, de laisser pendant de très longues minutes, parfois des heures, flotter votre regard sans rien saisir ni entretenir.

Ensuite elle ne peut être plurielle, pas de multitâche ici, une chose est accomplie à la fois, calmement, profondément et simplement. Expiration, paysage, vaisselle ou carotte à éplucher, conduite (et oui, combien de fois par trajet êtes-vous vraiment présents à votre volant sans rêverie aucune?) ou paperasse administrative, qu’importe l’objet. On se donne complètement à chaque tâche, sans souci ni retenue, comme un bois qui brûle et se consume jusqu’au bout. On n’est pas davantage obnubilé par la notion de résultat ou l’idée de but, l’action est accomplie pour elle-même.

Enfin qu’elle ne s’enivre pas d’elle-même et ne consiste pas à se rendre spectateur de sa moindre activité, de son geste le plus anodin. En d’autres termes, on arbore pas une mine recueillie et super concentrée quand on fait la vaisselle, se regardant faire la plonge ou essuyer les couverts. Elle est participation enthousiaste et joyeuse à l’activité sans pour autant se constituer témoin scrupuleux ou extasié de sa propre activité. Pas de ravis de la crèche dans une telle activité.

Invitations :

Concentrez-vous sur un objet quelconque. Et prenez conscience des tensions qui subtilement s’installent, remarquez comment la respiration tend à s’altérer et parfois dans le cas de tâches très précises (points de couture délicats), à s’arrêter même. Soyez conscient des tensions dans votre regard, du poids de votre concentration. Observez à quel point vous manquez de légèreté, d’espace et d’aise.

La contemplation du ciel ou de l’espace, exercice prisé par la tradition tibétaine du Dzogchen, consiste simplement à laisser le regard flotter doucement devant soi, se reposer au sein de l’espace ou du ciel, et ce faisant s’identifier à cette liberté et cet espace sans contraintes ni limites, bleu du ciel bleu. Il est possible de choisir la surface calme d’un lac ou de l’océan, l’essentiel est que cet espace ne présente pas de distractions pour l’esprit. En faisant cela, rien n’est recherché, rien n’est saisi, on ne s’efforce plus à rien, on ne fuit pas davantage, cette méditation du regard sur le ciel est une merveilleuse porte ouverte vers notre liberté authentique et  comme telle, elle est pratiquée spontanément par les animaux et les enfants. Elle ne requiert donc pas d’entrainement particulier si ce n’est la confiance et la capacité à plonger l’attention et à la déployer avec l’étendue du ciel. Cette contemplation permet de réaliser et de vivre directement  la nature non duelle de notre esprit.