Je suis toujours fascinée par la géométrie poétique des légumes. 

Que ce soit les stries d’une betterave tigrée ou le dessin d’un kaki coupé en deux, le cœur d’une poire ou encore la forme d’une noix ressemblant étrangement à celle d’un cerveau, j’ai souvent l’impression de plonger dans un  miroir mystérieux, à la fois étranger et intime. 

Depuis petite, j’ai toujours aimé plonger dans les mondes parallèles, à la fois mon monde et celui d’une autre espèce. Je me souviens être restée de longues minutes à regarder les ramifications des feuilles ou l’intérieur de certaines pierres et les spirales de certaines fleurs m’hypnotisent encore.

C’est l’élégance des éléments terrestres qui me frappe dans ces contemplations, leur  beauté mais surtout le mouvement présent dans chaque design, même statique, comme un élan dont la manifestation se dérobe à mes yeux mais qui n’en est pas moins réel. 

La spirale et les fractales semblent être le design le plus commun sur terre et ce, dans le microcosme comme dans le macrocosme. 

La plupart du règne animal et végétal est fait de ces fractales qui incluent nos organes intérieurs. Nos poumons ont les  mêmes ramifications que celles des arbres et partagent la même fonction, celle de respirer mais ces fractales sont aussi complémentaires : celles des arbres rejettent de l’oxygène que les  animaux (y compris les humains) ingèrent et  rejettent du CO2  que  les arbres intègrent à leur tour. On peut même faire le parallèle entre nos veines qui permettent de faire circuler le sang à tous nos organes et les rivières qui fertilisent les terres.  

Mais ce qui me fascine le plus c’est quand ces fractales dites auto-similaires sont également des spirales logarithmiques. 

Le premier à décrire une spirale logarithmique était Albrecht Dürer (1525) qui l’a appelée une « ligne éternelle » (« ewige Linie »). Plus d’un siècle plus tard, la courbe a été discutée par Descartes (1638), et plus tard, largement étudiée par Jacob Bernoulli, qui l’a appelée Spira mirabilis, « la spirale merveilleuse ».

le chou Romanesco en est un exemple parfait .

J’aime cuisiner, aller au marché, manger en communauté car cela me donne une place dans le monde.

Pas une identité mais une place dans la chaîne du vivant.

A savoir qui me nourrit, à tisser du lien avec les producteurs qui me racontent l’histoire de leurs légumes, à prendre le temps de contempler leur transformation en un repas je peux imaginer la chaîne invisible de ce qui me relie. De l’achat des ingrédients, à la cuisine, aux épluchures, puis  au compost et aux butternut qui poussent et que nous cuisinons à nouveau,  je me sens faire partie  du cercle,

je suis la spirale logarithmique de la matrice fractale.

Tout autant que chacune des fractales qui la compose, je suis le mouvement qui ne cesse de se déployer, je suis le fragment d’une vérité explosée en chacune des existences, je suis nourriture et compost du monde et je mange le monde qui me nourrit. 

Je suis la spirale fractale. 

Je ne verrai jamais le grand chou de ma réalité  mais si je sais que ce grand chou dépend de moi (entre autre) pour exister cela commence à faire sens. Je peux être enfin à ma place, indépendante mais reliée dans une réalité  qui me dépasse. 

Cela répond à l’absurde apparence de ma vie séparée qui se révèle sans que je puisse la voir . 

Cette vidéo basée sur la formule mathématique de l’ensemble de Mandelbrot permet de voir le merveilleux tissage fractal de notre réalité avec au centre cette forme qui étrangement me fait penser à un bouddha en méditation ! 

Mandelbrot Zoom Sequence

Cela me fait aussi penser à ce qui rend cette fractale cohérente qui dans le système alimentaire renvoie au goût des aliments . 

Qu’est ce qui définit le bon goût d’une carotte ou d’un fromage, si ce n’est  sa cohérence avec le reste du système. C’est le fait que des vaches nourrissent le sol de la diversité végétale dont elle a besoin grâce à leurs bouses, c’est le fait qu’il y ait des poules qui vont disperser cette nourriture, des chèvres qui sculptent et protègent les pâtures, que des hommes prennent soin de semer, de protéger, de nourrir ces animaux pour que cette fractale se nourrisse et nourrisse les autres. 

Ainsi chaque légumes aura le goût de la terre qui le nourrit, c’est la notion de terroir et de culture.

Une terre, un terroir ce n’est pas de mettre des intrants comme la fait l’agriculture conventionnelle dans le sol et espérer que cela suffise à le nourrir. Ce qui me nourrit c’est le goût de la spirale dynamique, ce sont toutes ces fractales reliant le futur au passé dans le mouvement du présent, cette réalité simultanée des étoiles aux micro organismes, de notre amour à celui des vaches, cette grande coopération universelle à la fois microscopique et macroscopique. 

C’est ça le goût . 

Alors quand les tomates ou les carottes n’ont plus de goût , c’est le signe clair de la fin des terroirs, de notre culture  et de notre cohérence d’humains sur terre.

Quand certaines des fractales ne peuvent plus rester en lien avec les autres, la spirale se grippe, elle ne tourne plus  qu’avec de l’huile (les pesticides), cela fonctionne un temps mais certains de ces rouages se rouillent puis bloquent ou s’écroule (l’érosion de nos sols) jusqu’à entraîner tout le système à dépérir (les nutriments des sols s’échappent, les plantes s’affaiblissent et la qualité de nos aliments disparaît). 

C’est l’effet de l’agriculture intensive, une perte de cohérence dans la disparition de ce que lie les éléments du système ensemble. 

La manière dont on gère la production végétale et animale de notre nourriture dans l’agriculture dite conventionnelle gangrène le chou tout  entier, simplement nous ne le voyons pas. Pourtant, les effets délétères de ce qu’on laisse faire derrière les murs des élevages intensifs ou ceux de nos abattoirs mais également dans les champ de monocultures (sans biodiversité végétales et animales) affecte le goût de la vie que nous mangeons et nous affame plus qu’il nous nourrit.  

Cela affecte notre place et le sens de notre réalité humaine.  

Mais la théorie des fractales est aussi reliée à la théorie du chaos et intègre ses paramètres qui à petite échelle nous apparaissent comme tragiques . 

Pour ma part, je vois cette théorie comme une invitation à s’asseoir dans la complexité, à ne plus espérer sans pour autant renoncer et cela me fait penser au vœux du bouddhisme dont c’est l’exacte posture.  Simplement se relier, trouver sa place et agir avec ce qui se présente en conscience que cette action aura un effet sur le système général. C’est le concept de l’activisme de la contemplation. Voir ce qui est et agir de cet endroit sans vouloir résoudre le système en entier , sans vouloir rien résoudre du tout d’ailleurs mais rester dans l’élan de sa propre vie. 

La nourriture c’est forcément  politique

et la politique peut être vu comme  le moyen de remettre de la cohérence dans la spirale, c’est par exemple la création du mouvement slow-food et son dernier né le slow cantines qui veut défendre  le goût transmis aux enfants dans les écoles qui pour l’instant mange une nourriture produite par de centrales utilisant des ingrédients morts.  

Par nos choix de consommation nous ne réalisons pas toujours comment nous dénaturons la vie présente dans nos aliments, combien nous fabriquons le goût de nos vies par la nourriture que nous mangeons, et surtout nous ne réalisons pas suffisamment comment de la façon dont nous choisissons notre nourriture nous pourrons permettre aux futurs génération de choisir la leur. 

Soutenir tel ou tel système construit la spirale, à nous de choisir quel effet aura t-elle sur les autres (humains, animaux, végétaux) sur nous-même et nos enfants ? 

Derrière le goût vivant, se cache quelque chose de plus subtil, l’invisible de ce qui nous rassemble, qui fait communauté, tisse notre terroir, notre histoire.

Nous sommes fait de ce que nous rencontrons, de ce avec quoi nous interagissons et ce depuis le début de l’humanité. Nous sommes le microcosme du macrocosme dans la simultanéité de tous les temps passés et futur, cette simultanéité étant ce qu’on appelle le présent. 

On peut remettre de la dignité et réclamer notre place d’humain sur terre, celui qui régénère et on peut déjà devenir l’ancêtre bienveillant de nos petits enfants en choisissant  et célébrant  le bon goût de la vie à chaque repas !  

Liens  sur les fractales : 

What are Fractals?