par Mokushin

Qu’entend-on par « sans faire », non-agir ? Qu’entend-on par sans intention ? Comment l’entend-on dans notre quotidien si occupé à fabriquer, atteindre, emplir, rentabiliser et j’en oublie ? Peut-être l’inhibition de la réaction automatique, formatée, induite par nos schémas mentaux, nos habitudes, l’inhibition de notre réactivité immédiate est-elle une première réponse. A condition de voir le processus, de reconnaître l’illusion de la construction d’un « moi » qui décide, juge et jauge à l’aune de ses références personnelles engendrées par son histoire (propre à chacun, différente pour chacun). Mais n’y a-t-il pas encore une espèce de « faire » dans l’inhibition même, ou pour le moins, un risque de désir de maîtrise ?

L’activité, pour ne pas être limitée ou pour être libérée d’un quelconque faire ou d’une quelconque volonté intentionnelle, ne procède pas d’un moi mais de la vacuité d’un moi hypothétique. Alors, śūnyatā vécue comme non-séparation d’un moi, d’un autre, d’un phénomène, etc… C’est la liberté même. Et cette liberté, je la vois comme résonance à ce qui apparaît. Comme un kōan provoque une onde, et parfois une onde de choc, qui, passée la sidération, se propage sans fin, très doucement, très discrètement, bouleverse nos petits équilibres par l’infinie résonance dont on ne perçoit souvent que le tout premier cercle.

Cette liberté, c’est dans notre quotidien, à chaque instant, face à chaque situation, chaque événement, ouvrir l’espace à cette résonance afin qu’elle se déploie, c’est rejoindre la poésie de l’instant à chacun de nos pas, même si nous n’en disons rien.

Même si nous n’en savons rien.
Aucune nécessité à cela.

Lorsque cela se déploie sous forme de mots, très bien. Lorsqu’il n’y a que silence, très bien aussi. Lorsque nous nous sentons ridicules et impuissants, toujours très bien. Mais la plupart du temps, nous refusons la résonance, nous la brouillons en lançant nos petits cailloux, quand ce n’est pas un massif rocher destructeur qui éclabousse l’univers tout entier. Alors comment laisser « ouvert sur cet ouvert » infini ? Et cela sans laisser ou abandonner quoique ce soit ou qui que ce soit ; plutôt larguer, déboulonner, oublier nos idées et représentations, nos concepts et évaluations, se tenir librement idiot, ouvertement simplet au cœur même de l’infini, être le rond dans l’eau qui n’en finit pas de résonner, s’étendre au-delà de toute perception. La résonance n’en a que faire de notre réceptivité ou de notre surdité. Elle se déploie à travers nous que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou pas. Aucune importance.

Voilà bien le côté subversif du zazen ; il ne peut y avoir de supériorité, d’état jugé meilleur qu’un autre, il ne peut y avoir de chef, de décideur, il ne peut y avoir de bouddha au-dessus d’êtres ordinaires. C’est purement et simplement impossible. Comment alors imaginer une organisation pyramidale et hiérarchisée ? Ultimement, il n’existe pas même de maître ni de disciple puisque l’enseignement est toujours, toujours, toujours très exactement là. Alors notre liberté est d’être ce simplet catastrophique qui se réjouit de tout cœur, quoiqu’il advienne, cette personne ordinaire et tranquille vivant à l’aise dans son vêtement trop grand pour elle.

[1]Denkōroku, Le Vingt-quatrième Patriarche Siṃha Bhikṣuṣ.