Zen & Photographie
La pratique de la photographie invite à une ouverture inconditionnelle.
Une ouverture de tous les sens, à tous les sens.
Une ouverture à ce courant d’air qui fera voler des feuilles d’automne, à cette odeur de viande grillée annonciatrice d’une scène de rue, à cette lumière rasante projetant de jolies ombres, à ces chants d’oiseaux, signes d’un envol. Bref, à ce qui est, et dont nous faisons entièrement partie.
Si la beauté d’une scène est dans l’œil de celui qui la voit, le beau est en soi, nous sommes donc bien la scène.
Il ne s’agit donc probablement pas tant de capturer une scène-objet dont nous serions l’observateur extérieur, que de se laisser être la scène toute entière en un instant.
Car l’instant ne se saisit pas.
Et à cet instant où même le laid devient beau et le beau se déploie, il n’y a plus de “soi” pour juger que le laid est laid ou que le beau est beau.
Photographier, c’est se laisser traverser pleinement par cet instant, ce réel, le vivre et le laisser nous vivre au 1000ème de seconde, avec, quoi qu’on en dise, – et c’est sans importance -, peu de prise sur le résultat final.
Photographier c’est attester de la beauté d’un instant en ce même instant.
Une photo planifiée perd de sa valeur artistique. De ce sel dans la composition. De ce qui fait qu’une image est vivante.
A moins qu’un élément inattendu s’y invite, elle est de ces photos que l’on garde mais que l’on ne regarde pas.
Elle est cette milliardième photo de la Tour Eiffel depuis le Trocadéro, du Taj Mahal de face, de la mer bleu azur depuis son transat.
Planifier une photo, ce serait s’organiser soi-même son anniversaire surprise.
S’emballer ses propres cadeaux de Noël.
Projeter une image dans une autre.
Chercher à tordre le réel pour en obtenir un résultat.
Enlever au réel ce qui en fait sa saveur pour le réduire à l’image que l’on s’en fait et à celle que l’on veut en obtenir.
Mais le réel est plus vaste que l’idée qu’on en a, plus riche que la photo qu’on en veut, plus beau que ce qu’on en attend et toute anticipation nous en sort.
Le seul travail d’anticipation est celui de créer les conditions de sa présence à ce réel. Ces conditions justement qui laisseront advenir l’inattendu, qui nous rendront à même de laisser le beau se déployer et en attester.
Préparer ses objectifs sans objectif.
Nettoyer les miroirs et devenir le miroir.
Régler les ouvertures et réaliser l’ouverture.
Ajuster les sensibilités et s’abandonner aux sensations.
Voir ce qui est sans se voir voir.
Tout est beau.
Tout est donné à voir, rien n’est caché. Pour le voir il suffit d’y être.
Pour y être, simplement être.
C’est ce qui peut faire de la photographie une voie du zen : s’ouvrir pleinement à ce qui est, pour être là au bon endroit et au bon moment, qui est le seul qui soit.
Photo d’illustration : Julien Hokkyo Lévy – Japon, Novembre 2022