Le maître zen et paysagiste contemporain Shunmyo Masumo alors qu’il était assis sur l’estrade contemplant le jardin sec de pierre et de sable du Rioanji, dit à un visiteur: « ce qui est important c’est que celui qui vient ici puisse voir clairement ce qu’il est ».

Ce devrait être notre manière d’aborder le monde, non pas d’y projeter nos intentions, de le traiter comme un terrain de jeu ou de manipulation, mais d’authentiquement rencontrer notre nature véritable et originelle, manifestée librement à chaque instant. Je souhaiterais modestement avancer un cheminement à l’invitation des cinq rangs de Dongshan. Les Cinq Rangs sont mentionnés dans l’ Hokyozanmai. Ce travail est attribué à Dongshan Liangjie (en japonais: Tozan Ryokai), Les enseignements des Cinq Rangs peuvent avoir été inspirés par Sandokai attribué à Shitou Xiqian (石頭 希遷 jap: Sekito Kisen). Cinq Rangs représentent un travail très important pour l’école Sôtô , importés venu de Gasan Joseki.

Le relatif à l’intérieur de l’absolu

L’absolu à l’intérieur du relatif

La venue de l’intérieur de l’absolu

L’arrivée à l’intégration mutuelle

L’unité obtenue

L’hokkyozanmai , Chant de la précieuse conscience-miroir, s’ouvre ainsi :

« L’ineffable vérité de ce qui est tel quel vous a été intimement confiée par les Bouddhas et Patriarches

Puisqu’elle est vôtre désormais, il vous incombe de la protéger et préserver.

Neige amoncelée dans un bol d’argent, blanc héron dérobé par la claire lune

Semblables en apparence, ils diffèrent pourtant, indistincts ils se reconnaissent(…).

Voici une expression très juste de cette interaction du relatif et de l’absolu.

Que se passe-t-il? Jakushitsu Genko est un maître de la tradition Rinzai. Ce qu’il écrit est exquis.

« tu es la verte montagne, la verte montagne n’existe qu’en tant que toi-même ».

Vous êtes devant un jardin. La vision vient de la situation initiale, ordinaire, dualiste. Vous êtes d’un côté, le jardin se trouve de l’autre ou vous êtes ici et le jardin est là (devant, autour…).

Le premier regard peut être celui de l’absorption, vous ne voyez plus que le jardin, il occupe tout votre champ de vision, accaparé tous vos sens. Vous êtes devant lui comme subjugué, émerveillé. En fait sa réalité a supplanté la vôtre ou mieux l’a absorbée.

La deuxième étape est celle où vous réalisez que vous êtes à l’origine de la création du jardin, que le jardin est une fabrication de votre perception, une image flottante de votre propre esprit.

Puis vous contemplez à nouveau le jardin comme un miroir de vous même, il en reflète très exactement la nature, ces pierres, ces graviers, ce sable, ce chemin, ces arbres, ce muret sont des reflets de votre corps esprit.

Puis tout s’effondre, il n’y a plus de jardin ni de vous même, rien qu’un espace sans bord, sans commencement ni limites, dépourvu de durée.

Enfin, un jardin-vous-même réapparaît, dans une unité dynamique et insécable. Vous ne savez plus où vous commencez ou finissez, où ce jardin commence et finit, danse et mélange.

La même chose peut être dite de notre pratique de l’assise nue.

Il convient de ne pas confondre la lune et le doigt qui la montre pontifient les imbéciles.

Vous voyez, le doigt qui montre la lune ne peut pas se tromper car il ne peut exister que dans la lune même, le doigt EST la lune, ou autrement dit la lune est vécue et exprimée telle qu’elle dans votre existence, dans votre être. Si l’on veut creuser la veine de cet enseignement, on peut sauter dans le torrent joyeux de la voix de Dongshan et de ses cinq rangs pour éclairer la danse de l’œil et de la lune:

L’œil d’un côté, la lune de l’autre (vision ordinaire)

L’œil n’est pas, seule la lumière de la lune (enseignement du véhicule des anciens)

L’œil est, la lune n’est pas (Mahayana idéaliste, Yogachara)

Ni œil ni lune, tout est vide (Madhyamika, Mahayana)

L’œil-lune, unis et mélangés, ni un ni deux (Zen et Bouddhisme ésotérique)

Ou dans une vision plus dynamique :

L’œil ici regarde la lune là-bas

L’œil est vide, seule la lune brille

L’œil est faiseur de lune

Oeil et lune sont vides

L’œil-lune, corps éveillé au-delà de toutes les poussières

Le cinquième rang affirme et dépasse les quatre précédents. C’est le domaine de notre pratique, c’est le Zen Saïjo, le plus haut véhicule de pratique, le Zen transmis par Dôgen. C’est le moment où le corps et la lune s’effondrent l’un en l’autre et s’ouvrent. C’est l’espace dans lequel vous cousez, le même que celui que vous n’avez jamais quitté en laissant votre siège de diamant.