Zazen et la peur

Cher petit J,
Avec ces 40 ans de plus que toi aujourd’hui, je peux te parler de choses que j’ai vécues, que tu vivras, enfin qu’on aura vécues ensemble. Tu m’as compris.
Ce matin en zazen quelques pensées me sont venues à ton attention.

Je voudrais te parler de Zazen justement. Tu découvriras ça dans une trentaine d’années et franchement c’est dommage d’attendre si longtemps.
Le zen c’est une sorte de façon de voir la vie. Et zazen, c’est le principal truc qu’on fait dans le zen. C’est l’assise silencieuse. Ça n’a pas l’air très marrant comme ça, mais tu vas voir ça va te plaire.

En fait, en zazen, on s’assoit sans intention. On s’assoit juste pour s’asseoir.
On s’ouvre à l’ouvert comme on dit. Ça fait un peu bizarre dit comme ça, mais c’est très simple.
En quelque sorte on s’autorise à être sans se voir être.
On est, et à la fois on disparaît. Quand je dis « on » c’est cette part de nous-même qui voit, qui juge et qui commente.
Cette part qui a un avis sur tout et qui pense qu’elle voit parce qu’elle parle de ce qu’elle croit voir. Et qui a toujours raison ! Surtout chez moi, enfin chez nous !
Je suis sûr que tu comprends.

Zazen, en pratique, c’est s’asseoir en silence, sur un coussin, les jambes croisées.
Le dos droit pour bien respirer mais pas tendu. Y’a rien à paraître, rien à prouver. Juste être bien.
Respirer. Pendant quelques dizaines de minutes idéalement. Mais tu peux commencer par cinq, c’est déjà super.
On essaie de ne pas bouger, pas pour avoir l’air parfait (d’ailleurs, je nous fais gagner du temps, la perfection, ça n’existe pas) mais pour laisser apparaître le parfait silence. Oui c’est plein de contradictions le zen.
Et tu verras, c’est étonnant comme le silence est bruyant !

Entendre notre cœur battre, le sang dans les veines, cet acouphène qui est toujours là.
Et bien ça cultive notre présence. S’il est là c’est qu’on est là !
La présence à ce qu’on fait c’est une chose, la présence à soi et au monde, c’est important, et finalement tu verras qu’il n’y a pas de différence entre les deux.
Et puis tu verras que tu n’es pas dans le monde, mais que tu es le monde. Ou le réel. Mais ça devient compliqué, je voudrais pas trop t’embrouiller.

Assis, des pensées arrivent et partent. On les regarde, on n’essaie pas de les changer, de les diriger, on ne les juge pas. Tout est bien. Un peu comme quand on est assis sur le quai de la gare, on regarde passer les trains. On n’essaie pas de monter dedans, de les faire aller plus vite ou de les empêcher de partir. On n’a pas d’avis dessus. Un train est un train. Il passe. Voilà.
Ou comme les nuages dans le ciel. Les pensées apparaissent d’on ne sait où, prennent des formes, se transforment, disparaissent. Et c’est très bien comme ça.
S’asseoir en silence, pour quoi faire tu me diras ? Bah pour rien faire justement. Et ça fait du bien.
Pas essayer que ça fasse quelque chose, ou qu’on se sente mieux après.
Non, juste le faire pour le faire, sans rien vouloir en faire.
Ça c’est pas facile pour toi et moi hein, mais c’est précieux tu verras.

Mais ça fait quand même quelque chose de très utile : ça éloigne la peur. Ou ça la fait partir. Ou ça la diminue. Mais si tu le fais pour que ça éloigne la peur, bah ça marche plus !
D’ailleurs, comme dit un vieux maître japonais (oui, j’aime toujours autant le Japon, j’y suis finalement allé récemment d’ailleurs) : “Si tu ne le fais pas dans l’idée que ça ne sert à rien, alors ça ne sert vraiment à rien !” C’est marrant hein ? Je sais que ça te fait rigoler ce genre de trucs.
T’as pas beaucoup changé là-dessus !

Par contre, faire zazen quand on a peur n’y change pas grand-chose. En revanche, faire zazen tous les jours, matin et soir, empêche la peur d’arriver. C’est un peu comme se laver les dents…
Le faire deux fois par jour sans se poser de question, et les caries ne viendront pas. Se laver les
dents pour faire partir une carie, ça ne marche pas. D’ailleurs, tu t’es lavé les dents ce matin ?

Mais c’est important, parce que tu sais, la peur elle est partout.
Tous ces trucs qu’on a faits trop vite et qu’on a ratés du coup. En fait c’était de la précipitation, de la peur. Ces trucs faits trop bien, trop réussis, “trop” tout simplement : de la peur aussi.
Et tu sais, la peur, c’est pas que quand on est enfant.
Elle est toujours un peu là, même quand on est grand, même quand on est fort.
En fait, on n’est jamais vraiment ni grand ni fort.
Mais comme on croit qu’on l’est, on ne sait pas que la peur est là.
C’est une sorte de voile sur le réel, un peu comme les rideaux dans le salon de Mamé, on voit la lumière au travers, ils protègent du soleil mais on ne voit pas le jardin. La peur, elle cache le réel mais elle n’en protège pas. Zazen lève le voile, ouvre les rideaux et laisse entrer la lumière.
Et la vie c’est beaucoup plus beau comme ça.
Et la peur, elle nous fait faire plein de trucs. Des trucs superbes parfois, souvent même dans notre cas, tu verras. Mais on ne peut pas bâtir une vie sur la peur. Enfin, on peut en fait. Mais disons que les autres options sont plus faciles à vivre.

Et comme dit quelqu’un que tu rencontreras un jour et que tu aimeras beaucoup, “la vie commence là où la peur s’arrête”.
Tu auras tout l’amour que tu es capable de donner, alors n’aie pas peur, ça ira très bien.
Si je devais refaire les choses, je les ferais exactement pareil. Mais avec zazen en plus, je les
ferais sans peur. Et ça ferait toute la différence.
Tu peux y aller.
N’aie pas peur, assieds-toi et fais zazen.
C’est le début de la vie.
J, 46 ans