par Daishin

En lisant le treizième cas du Denkoroku :  « Les montagnes, les rivières et la vaste terre, tout s’érige et s’établit en se fondant sur l’océan de la nature de Bouddha… » m’est venue l’envie de parler du langage «  zen » , ce langage qui m’accompagne depuis longtemps mais qui à travers les partages et l’enseignement dans notre sangha prend actuellement une place très importante. 

Alors je me suis amusée à classer, regrouper les mots et expressions « zen »qui me viennent à l’esprit… des mots « bouddhistes » , des mots concepts, des mots poétiques…

Il y a ceux qui caractérisent le relatif : le samsara, le monde ordinaire, le monde d’endurance, la vie et la mort, la souffrance, les phénomènes, l’impermanence, les vagues, les nuages, les montagnes et les rivières, le doigt qui montre la lune…

Ces mots je les vis déjà. Ils parlent de moi et de l’autre, de la matière et du mental, de l’espace et du temps, de la beauté et de la laideur, de la douleur et de la jouissance, de la colère, de la joie, de l’attachement et du désir ; ils décrivent mon monde, celui que je connais à travers mes sens, mon conditionnement, mon expérience. 

J’ai rencontré le zen par la posture de l’assise en silence, mais le mot éveil, satori, m’a happé dès le premier contact avec l’enseignement ; il est celui qui me dit que je suis endormie ou aveugle.

L’éveil, l’illumination qui permet de « voir » l’Absolu : Bouddha, la vacuité, l’unité, la non dualité, la non séparation, la réalité ultime sans limites de temps et d’espace, la lune, l’océan, le ciel, « les montagnes ne sont plus des montagnes, les rivières ne sont plus des rivières ».

Ces mots qui suscitent l’aspiration, l’espoir à rencontrer Bouddha, sont encore souvent des concepts, je ne crois les vivre que lors d’un éclair, un temps suspendu, une danse vécu dans l’instant, une assise hors du temps, debout sous les étoiles, ou au sommet d’une montagne…

Parfois lorsque l’absolu reste un concept, d’autres mots sont là pour m’aider à plonger, abandonner, sauter de la falaise, pas d’existence propre, laisser advenir, co-émergence, coproduction conditionnée.

Cependant l’enseignement nous dit autre chose, il nous dit qu’il ne faut pas se perdre dans cette quête d’absolu, qu’il ne faut pas s’y attacher.

Notre monde, celui que nous connaissons depuis toujours est lui même éveil, et j’entends les paroles d’un teisho de Taïgu Roshi : l’éveil n’est pas quelque chose qu’il faut attendre, l’éveil c’est la pratique, ne s’attacher à rien, ni a la forme ni au vide, abandonner Bouddha, c’est déjà là… et j’entends à nouveau : s’asseoir sans but, simplement s’asseoir, se laisser asseoir par zazen, ne rien faire en zazen , voir le tel quel, juste cela…

et puis encore…samsara et nirvana sont les deux faces d’une même pièce, le doigt c’est la lune ,  les rivières redeviennent les rivières les montagnes redeviennent des montagnes…

Et là, je résiste et résiste encore, mon moi s’accrochant à l’idée du merveilleux extraordinaire mystère de l’éveil… et je souris alors et pense soudain à tout ces mots qui nous invitent à sortir de « mon » éveil : « je » ne peux pas être éveillé tout seul, tout s’éveille à l’instant en même temps, tout asseoir ensemble, l’éveil est amour inconditionné, et la compassion est indissociable de la voie du boddhisatva.

Dès lors, le chemin ne peut pas être solitaire, notre voie propose un support pour la pratique, et  nous parle alors de vœux, enseignement, préceptes, octuple sentier, quatre nobles vérités, couture du kesa, sangha, ami de bien, transmission…

Touts ces mots m’accompagnent, me poursuivent, sont parfois légers, parfois lourds, entravent le silence du zazen, deviennent eux mêmes objets, parfois comme une langue étrangère dont je ne comprends pas encore la subtilité, comme une image ou un reflet imparfait, un écran de fumée, la poussière du miroir.

Ne pas se laisser bercer par l’illusion d’avoir tout compris parce que j’apprends à manier les concepts.

« Les montagnes, les rivières et la vaste terre, tout s’érige et s’établit en se fondant sur l’océan de la nature de Bouddha… » juste écouter la musique des mots….et revenir au silence…