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Les autres ne sont pas moi

  • 9 octobre 202427 août 2024
  • par Pierre Taigu Turlur

Alors que Chinshū et Tōsui cheminaient vers Katada afin de poursuivre leur tournée de mendicité, ils découvrirent un corps sans vie au bord du chemin, le pauvre homme connu du maître était mort dans la nuit et déjà une odeur nauséabonde commençait à chatouiller les narines des deux voyageurs. Tōsui décida de l’inhumer sans tarder. Une fois la tâche accomplie, il remarqua un bol de soupe moisie abandonnée non loin de là dans laquelle surnageaient des légumes décomposés, il avala de bon appétit le brouet infâme et tendit le reste du bol au jeune Chinshū. Ce dernier bien que dégoûté prit sur lui et avala difficilement deux ou trois gorgées, pris de nausées et grimaçant en diable. Ne parvenant pas à finir cette pitance, Tōsui lui demanda de lui rendre le bol qu’il finit jusqu’à la dernière goutte, se régalant du moindre morceau de ce mets si peu ragoûtant. À la vue de son maître avalant goulûment ce gruau verdâtre, immonde et fétide, Chinshū ne put réprimer un spasme ultime et vomit tout sur le champ. Pâle et tremblant il s’écroula sur le bord de la route. Tōsui s’adressa alors à lui en ces termes: « je t’avais prévenu et ce depuis le début, tu ne peux me suivre. Tu n’en es pas capable. Ta détermination t’aveuglait et tu ne voulais pas recevoir mon conseil. Ici finit notre route ensemble. Retourne au monastère et oublie-moi, même en rêve. Bon voyage! »À ces mots, le maître prit le chemin du lac sans attendre et sans se retourner. L’histoire dit que, après bien des années de pratique, le jeune Chinshū devint un enseignant respecté et vertueux.
Le jeune et naïf lecteur que j’ai pu être voyait en Tōsui un champion de l’ascétisme et de la voie la plus dépouillée et rigoureuse qui soit et dans le pauvre Chinshū un disciple bien veule, peu déterminé et qui ne parvenait pas à dépasser ses propres catégories et maîtriser ses réactions. Aujourd’hui cette histoire m’inspire évidemment une toute autre lecture. Le matérialisme de l’élève n’est ici pas tant dans son incapacité de s’accommoder du précaire et de la plus grande simplicité, mais de manifester le désir de rivaliser avec son maître en menant une vie qu’il juge supérieure à toutes les autres y compris à la sienne. Cette convoitise est le cœur du problème. Désirer une vie vertueuse, s’enorgueillir de réalisations et d’actions justes et encore et toujours poudre à ses propres yeux, fleurs dans le regard, la soif de réalisation est encore un égarement, probablement le plus subtil et vicieux de tous. À chacun la tâche de manifester à sa manière et non en empruntant à celle des autres sa propre forme et compréhension du chemin. Un épisode resté célèbre relate la rencontre déterminante de Dogen, celui qui ramena la pratique du zazen dépouillé de soi au Japon, avec un modeste cuisinier. Cette anecdote demeure retentissante pour le jeune abbé qu’il deviendra puisqu’il rédigera quelques années plus tard un opuscule traitant de l’art de cuisiner et du zen, le Tenzo Kyokun, « instructions destinées au cuisinier ».C’est dans la lumière encore chaude de l’automne finissant que Dōgen aperçut une forme voûtée et penchée sur des champignons qu’elle arrangeait pour les offrir aux rayons du soleil. Le cuisinier de T’ien-t’ung était vieux, fatigué et appuyé sur une canne de bambou et tête nue sous le brasier solaire il disposait méticuleusement les corps difformes, pédicules et chapeaux afin de les sécher. Il avait les sourcils broussailleux d’un blanc de nuage ou d’écume, et dans cette étuve face à l’imposante salle du Bouddha et la tête découverte il ruisselait de sueur sous l’effort et la douleur.
« Quel âge avez-vous ?
– Soixante-huit ans, répondit le vieil homme en lançant au jeune moine un regard malicieux.
– Mais à votre âge, vous devriez quérir de l’aide, s’exclama Dōgen.
– Les autres ne sont pas moi, répondit le cuisinier cette fois-ci le nez toujours dans les champignons.
– Je comprends que vous vouliez vivre conformément à la Loi, mais le soleil est écrasant à cette heure, pourquoi travailler maintenant ?
– Si je ne travaille pas maintenant, quand le ferai-je ? »
Dōgen ne trouva rien à répondre et laissa le vieillard à son affaire.
Ce qui pourrait apparaître comme évidences et lapalissades, demeure cependant rarement compris et vécu. Le vieil homme se donne complètement à une activité qui lui tient lieu d’univers et d’existence, d’une façon inconditionnelle et sans le moindre compromis. Nul excuse, ni son âge, ni l’ardeur du soleil, ne saurait freiner une activité pour laquelle il n’envisagerait aucune autre paire de mains et d’yeux. Cette modeste tâche requiert toute son attention et sa compassion, rien ne saurait l’en détourner.
L’enseignement du maître et de son acolyte ainsi que celui du vieux cuisinier nous rappellent ici que nous ne sommes jamais que ce que nous faisons et faisons toujours ce que nous sommes, juste adéquation de l’être et de l’action. Chacune et chacun est ainsi à sa juste place.

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